Un Mémorandum du président Abdelaziz Bouteflika, désigné coordonnateur de l’Union africaine (UA) dans la prévention et la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent en Afrique, a été présenté lundi par le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, lors du 29e sommet de l’UA à Addis-Abeba. Voici le texte intégral de ce Mémorandum :
“Autant que la région du Moyen Orient, l’Afrique est la cible d’un terrorisme en expansion. Ce fléau est parvenu à occuper des territoires, à contrôler des populations et des ressources naturelles, à brasser d’importantes ressources financières, à accéder à plus d’armements, à créer de solides connections avec le crime organisé transnational, à développer sa propagande, y compris via internet et les réseaux sociaux, à recruter parmi la jeunesse africaine et à renouveler ses rangs par la dissuasion, la menace ou, de plus en plus, l’intéressement financier, et, enfin, à exploiter la misère humaine des flux de la migration clandestine.
L’Afrique a pris pleinement conscience de cette mutation du terrorisme et de la gravité de la menace qu’elle fait peser dorénavant sur la sécurité et la stabilité de chaque pays africain et sur la sécurité et la stabilité de tout le Continent africain.
La décision unanime des Chefs d’Etat et de Gouvernement africains de créer la mission de coordonnateur pour la prévention et la lutte contre le terrorisme en Afrique traduit toute l’importance que l’Afrique accorde à cette menace grandissante pour la stabilité et la sécurité de notre continent et de nos populations.
La décision de Son Excellence Alfa Condé, Président de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine, de confier cette mission au Président Abdelaziz Bouteflika, se fonde sur la riche expérience et l’expertise que l’Algérie a développées en matière de lutte contre ce fléau ainsi que sur son sincère engagement cette lutte, engagement assumé afin qu’aucun autre peuple ne connaisse les drames imposés au peuple Algérien par ce phénomène pendant la décennie des années quatre-vingt-dix.
Au nom de l’Algérie, le Président Abdelaziz Bouteflika est honoré d’assumer cette mission, convaincu qu’il pourra compter sur le soutien actif et permanent des pays membres de l’Union Africaine, du Conseil de Paix et de Sécurité et de la Commission de l’Union Africaine.
L’action à mener durant les années à venir se doit de mettre l’Afrique et ses peuples à l’abri de la menace terroriste sous ses différentes formes.
Elle doit privilégier la prévention, la sensibilisation et la mobilisation, et tendre en permanence vers le renforcement des capacités nationales et régionales de lutte ainsi que la promotion d’une coopération toujours plus étroite entre les pays membres et avec la communauté internationale dans son ensemble.
L’extrémisme violent et le terrorisme sont aujourd’hui des menaces de portée globale. Leur élimination et leur éradication requièrent des stratégies de prévention et de lutte de même nature et de même échelle.
L’Afrique a accompli des progrès indéniables dans cette voie. Elle a la ferme volonté de relever les défis que ces phénomènes font peser sur la sécurité et la stabilité de ses pays membres ainsi que sur les aspirations légitimes de ses peuples à la paix et à la sécurité, au développement, au bien-être et au progrès socioéconomique.
C’est dans cet esprit que sera approchée la mission de Coordonnateur de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme sur notre Continent.
Cette mission se déploiera autour d’axes prioritaires de la lutte anti-terroriste tels que fixés respectivement par les instances compétentes de l’Union Africaine et par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Elle portera notamment sur le développement de l’architecture africaine de lutte contre le terrorisme, le développement et l’enrichissement des normes africaines de lutte contre fléau en s’inspirant des bonnes pratiques acquises par les autres régions et au niveau international, la prise en charge des combattants terroristes étrangers et de leur retour ou mouvements vers le continent africain, le resserrement et le tarissement des nombreuses sources de financement du terrorisme, y compris le secteur de l’informel, la lutte contre la radicalisation et les politiques de dé-radicalisation, ainsi que la nécessité d’améliorer les cadres politiques, institutionnels et judiciaires pour favoriser la démocratie, la bonne gouvernance, les droits de l’homme, la justice sociale, le développement socioéconomique et l’état de droit en tant que facteurs contribuant de façon déterminante à priver le terrorisme de terreaux qu’il sait savamment exploiter dans sa propagande. Il y a lieu aussi de développer la coopération bilatérale, régionale et internationale en matière de lutte contre ce fléau.
1 – Le développement de l’architecture africaine de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme :
Guidée par le souci de protéger et de promouvoir les valeurs de tolérance, de dialogue, de solidarité et de respect mutuel, de condamnation de l’extrémisme, de la haine, du terrorisme et de la discrimination pour quelque motif que ce soit, et aux fins d’assurer la sécurité de leurs pays et de leurs ressortissants contre les effets destructeurs du terrorisme, les pays africains ont très tôt accordé à cette menace l’importance requise et pris une succession de mesures qui ont permis au Continent de disposer de moyens légaux de lutte contre ce fléau.
La convention africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, signée à Alger en 1999, constitue, à cet égard, l’aboutissement et l’expression de la forte prise de conscience africaine de la gravité de la menace terroriste pour le continent dans son ensemble et un important instrument de lutte commune contre ce fléau.
Il en est de même du Plan d’Action de l’Union Africaine pour la Prévention et la Lutte contre le terrorisme. Ce document a établi avec précision, et pour la première fois, une véritable feuille de route africaine de lutte contre le terrorisme, incluant les principaux domaines et dimensions de cette lutte, comme il a affiné les mandats et rôles du Conseil de Paix et de Sécurité ainsi de la Commission de l’Union Africaine dans cette lutte.
Il a aussi retenu la mise en place, à Alger, du Centre Africain d’Etudes et de Recherches sur le Terrorisme (CAERT), lequel s’est imposé au fil des années comme un précieux outil au service des pays africains dans leur lutte individuelle et collective contre le terrorisme.
Cette architecture est confortée par la désignation d’un Représentant Spécial de l’Union Africaine pour la Coopération Anti-Terroriste ainsi que par l’entrée en fonction de l’Afripol, laquelle constitue une importante plateforme de coopération entre les polices africaines contre le terrorisme et le crime organisé transnational, et dont le siège est également à Alger.
L’important effort ainsi consenti par notre Continent durant les trente dernières années pour faire face et vaincre l’hydre terroriste nécessite d’être poursuivi et renforcé par de nouvelles mesures et de nouvelles initiatives adaptées à la nature mutante de la menace terroriste, aux changements intervenants régulièrement dans ses modus operandi et dans le développement et le renforcement de ses connexions avec le crime organisé transnational.
2 – Le développement et l’enrichissement des normes africaines de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme :
Dans son effort de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme, l’Afrique a veillé à inscrire ses décisions et mesures dans une perspective de renforcement des principes et objectifs de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des principaux instruments internationaux et africains sur la protection de la sacralité de la vie et des droits de la personne humaine.
La Convention africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, la Déclaration sur le code de conduite pour les relations interafricaines de 1994, le Protocole additionnel à la Convention d’Alger de 1999 et le Modèle africain de Loi sur la lutte anti-terroriste ainsi que les Déclarations solennelles du Sommet de l’Union Africaine sur la lutte anti-terroriste sont autant de réalisations engrangées par notre continent pour renforcer son arsenal politique et juridique de lutte contre le terrorisme.
Ce capital nécessite d’être renforcé par son intégration dans les corpus juridiques nationaux, par sa mise en œuvre, par des efforts soutenus de formation des ressources humaines chargées de son application et par le développement des capacités des pays qui en font la demande en mobilisant, notamment, la coopération bilatérale, régionale et internationale.
3 – La prise en charge de la question des combattants terroristes étrangers et de leur retour ou mouvements vers le continent africain :
De nombreux jeunes Africains se sont engagés dans l’aventure terroriste dans différentes zones de conflits à travers le monde, principalement en Irak-Syrie et au Sahel. Ils sont plus de 5000 ressortissants africains de diverses nationalités à activer au sein des groupes terroristes sur le continent même et dans les autres zones de conflits armés.
L’Afrique est aussi interpellée par la menace que ces individus représentent à leur retour dans leurs propres pays ou dans d’autres pays de la région. Cette menace est aggravée par des facteurs propres à notre continent ayant trait, entre autres, à l’immensité des territoires, la porosité des frontières et la faiblesse des capacités de lutte et des ressources d’un grand nombre des pays potentiellement ciblés par ce fléau.
Les tentatives actuelles de regroupement ou de fédération des groupes terroristes dans la région du Sahel ne sont pas étrangères aux mouvements de retour et aux projections futures de l’action terroriste dans cette région.
Face à cette menace, l’Afrique est appelée à développer sa coopération dans de nombreux domaines, parmi lesquels l’échange d’informations sur les combattants terroristes étrangers, une meilleure connaissance de leurs profils, la prévention de leurs déplacements par les différents moyens de transport, les points d’entrée et de transit ainsi que l’amélioration de la gestion des frontières.
4 – Le resserrement et le tarissement des nombreuses sources de financement du terrorisme, y compris le secteur de l’informel :
En dépit des efforts déployés par le continent africain et par la communauté internationale en général dans la lutte contre les sources de financement du terrorisme, celui-ci parvient toujours à accéder à des ressources financières qui lui permettent de poursuivre ses activités criminelles.
Le crime organisé transnational, l’économie informelle, le prise d’otages contre paiement de rançons, la migration illégale, le trafic dans les biens culturels, le trafic illicite d’armes et de drogue, le blanchiment d’argent, la traite des êtres humains, le trafic de bétails et les vols en tous genres sont, à la fois, autant de créneaux que les groupes terroristes exploitent toujours pour se financer sur notre continent et de leviers sur lesquels l’Afrique se doit d’agir et de renforcer les instruments et mécanismes de lutte dont elle s’est déjà dotée.
La criminalisation du paiement des rançons ainsi que l’arrêt des flux de financement du terrorisme provenant de l’extérieur du Continent restent ainsi parmi les priorités de l’action africaine en matière de lutte contre le financement du terrorisme.
5 – La prévention et la lutte contre la radicalisation et les politiques de dé-radicalisation :
L’Afrique est aussi confrontée aux phénomènes de radicalisation croissante, en particulier, des jeunes, et à une pernicieuse propagation des courants de pensées prônant l’extrémisme violent et le terrorisme.
Plusieurs facteurs y concourent, alliant souvent l’exploitation par les idéologues et les recruteurs du terrorisme de conditions socioéconomique difficiles et de fléaux sociaux divers.
L’urgence de consacrer plus d’attention et de ressources à ces matrices du terrorisme a été, à juste titre, fortement soulignée par notre Organisation continentale.
L’objectif est aujourd’hui de promouvoir et de mettre en œuvre, aux niveaux national et régional, des stratégies et des programmes de prévention de la radicalisation et de lutte contre l’extrémisme violent qui s’attaquent aux différentes terreaux où naissent et se développent ces graines qui alimentent la menace terroriste.
Ces stratégies et programmes nécessitent des approches inclusives incluant les gouvernements, la société civile et surtout les citoyens ainsi que la coopération internationale autour de facteurs tels que l’utilisation d’internet par la propagande terroriste, la lutte contre l’islamophobie et la xénophobie, l’ingérence et les interventions militaires étrangères, la non résolution de conflits armés, les inégalités économiques et l’absence de perspectives de développement.
6 – La promotion de cadres politiques, institutionnels et judiciaires favorisant la démocratie, la bonne gouvernance, les droits de l’homme, l’état de droit, la justice sociale et le développement socioéconomique :
Comme notre continent et la communauté internationale en général le réaffirment régulièrement, aucun argument politique, économique, religieux ou autre et aucune situation, y compris la pauvreté, ne peuvent justifier le terrorisme et les horreurs qu’il commet.
Dans son approche de lutte contre ce fléau, l’Afrique s’est ainsi résolument engagée dans la voie de la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance, des droits de l’homme, de l’état de droit, de la justice sociale et du développement socioéconomique pour tous, comme l’attestent les initiatives du NEPAD et du MAEP.
Ces efforts de l’Afrique nécessitent d’être soutenus pour priver définitivement le terrorisme d’arguments qu’il a su exploiter dans sa propre propagande pour mobiliser, radicaliser et recruter.
7 – Le développement de la coopération régionale et internationale.
La nature globale du phénomène du terrorisme milite pour une coopération bilatérale, régionale et internationale toujours plus étroite dans tous les domaines liés à la lutte anti-terroriste.
Les défis spécifiques que rencontrent un grand nombre de pays africains dans cette confrontation avec l’hydre terroriste, dont l’immensité des territoires, la porosité des frontières, la faiblesse des capacités institutionnelles, la rareté des ressources économiques et financières et autres, la pauvreté et les effets négatifs des changements climatiques, appellent au renforcement rapide de la coopération dans des secteurs aussi vitaux que la formation, l’assistance technique et la fourniture d’expertise et d’équipements répondant aux demandes et aux attentes des pays concernés.
Ces défis soulignent aussi la centralité de la question du développement dans l’équation sécuritaire en Afrique et dans cette lutte commune contre l’extrémisme violent et le terrorisme”.