Des guerres “sournoises” de troisième et de quatrième génération ont déjà remplacé la guerre froide, a indiqué l’expert en géopolitique, Arslan Chikhaoui qui prédit un changement de la cartographie mondiale à partir de 2021.
“La guerre froide a laissé place à des guerres sournoises de troisième et de quatrième génération (…) Ces guerres 3.0 et 4.0 ne sont que l’aboutissement d’une stratégie de guerre à zéro perte humaine”, a-t-il déclaré dans un entretien à l’APS, commentant les propos de Max G. Manwaring, officier américain à la retraite qui a parlé, lors d’une conférence tenue en 2018, d’une “guerre de 4ème génération” comme nouvelle option pour “déstabiliser les ennemis”.
“La guerre armée classique a muté vers une nouvelle forme de guerres lentes et progressives dans l’espace et dans le temps. Il s’agit du pouvoir intelligent (Smart Power) qui se décline en une combinaison de Soft Power et de Hard Power. Le président Bush a utilisé le Hard Power pour la guerre du Golfe qui se voulait être chirurgicale, le président Obama a utilisé le Soft Power sous forme de guerre de Proxy en Libye”, a expliqué M. Chikhaoui.
“Le Smart Power instrumentalise les guerres des VEOs (Organisations extrémistes violentes), des guerres CBRN (Chimique, biologique et radiologique) et les cinq types de guerres du cyberespace. La finalité de ce Smart Power et de mettre ce qui est considéré comme “ennemi” dans un état de déliquescence structurelle et surtout l’empêtrer dans des crises permanentes et séquentielles. L’objectif est de ne pas laissé “l’ennemi ” s’en défaire en solutionnant les crises mais de les affronter en permanence et sur tous les théâtres au même moment. A tout cela s’ajoute les mouvements populaires de type insurrectionnel dénommés mouvement ou révolution colorée “, a-t-il ajouté.
Il citera les exemples des “Révolutions des roses en Géorgie en 2003, Orange en Ukraine en 2004, suivies en 2005 de la révolution des Tulipes eu Kirghizistan, la révolution en Jean en Biélorussie, celle des cèdres au Liban et la révolution du Jasmin en Tunisie en 2011”.
Pour Arslan Chikhaoui, le Printemps arabe “demeure la parfaite illustration du cocktail du Smart Power qui, par ailleurs, fait intervenir de nouveaux acteurs (…) sur la scène des relations internationales (et qui) sont principalement non étatiques”. Ces intervenants peuvent être des “NGO (Non gouvernemental organization), des NGI (Non gouvernemental individual), des Think Tanks ou des entreprises. Ce sont tout simplement de puissants réseaux d’influence de la société civile bien structurés et interconnectés virtuellement et physiquement. Ils tracent les contours de la cartographie du monde globalisé avec ses certitudes et incertitudes”, a-t-il poursuivi.
“L’Etat-nation tentera de continuer d’être la cellule dominante de l’ordre mondiale. Cependant, la globalisation, la diffusion des technologies de l’information et le jeu d’influence des nouveaux acteurs non-étatiques soumettront les gouvernements à rude épreuve, voir à (des) tensions”, a-t-il prédit.
“Depuis 2011, divers rapports de Think Tanks internationaux et stratèges militaires prédisent que la chute des élites des régimes au pouvoir considérés comme autoritaires ou autocratiques cédera la place à la nouvelle élite de gouvernants qui a été dénommée pour la circonstance Génération 11 avec laquelle les pays occidentaux ont des affinités et seront en adéquation de vision et (en matière) de communication.
Il s’agit des élites de tendance libéral quelle que soit l’obedience politique ou cultuelle. Cette nouvelle élite les rassurerait sur le contrôle des réserves énergétiques, minières et hydriques. Cette mue est en train de s’opéreravec comme sous-bassementla bénédiction et le soutien des opinions publiques des pays cibles”, a-t-il relevé.
“Les NGOs et/ NGIs, leviers d’influence sont à l’origine de la diplomatie parallèle qui parfois complète ou se substitue à la diplomatie institutionnelle traditionnelle. De plus en plus de gouvernants politiques utilisent ce type de diplomatie impliquant les acteurs de la société civile et des leaders d’opinion clés (Key Opinion Person -KOP), pour mener leurs actions de politique étrangère et d’influence”.
“La fin de la guerre froide matérialisée par la chute du mur de Berlin a laissé place à une tectonique des plaques dont les répercussions n’ont pas encore atteint leur paroxysme”, a-t-il assuré. “Un Moyen-Orient et une Afrique du Nord, voire un monde arabo-musulman en pleine turbulence, des puissances émergentes en Asie, le retranchement de l’Eurasie, les divisions transatlantiques et une multiplication des conflits de faible intensité figurent parmi les problèmes émergents (et qui) constitueront les traits dominants de l’après l’an 2021”, a noté l’expert.
“A partir de 2021, incontestablement, la cartographie du monde sera différente. Les groupes géographiques traditionnels perdront progressivement de leur poids dans les relations internationales”, a-t-il affirmé, signalant que “la ligne de partage traditionnelle Nord/Sud ne sera plus un concept très représentatif pour le futur monde. Le concept Eurasie destiné à supplanter l’ancienne Union soviétique et l’unité de l’Ouest ont également perdu de leur pertinence. Ce sera surtout dû à la mondialisation et à la montée en puissance de la Chine et à moindre degré de l’Inde”.
“Toutefois, le concept actuel qui risque de conserver sa pertinence est l’arc d’instabilité ancré en Asie du Sud-Est où l’on assiste à la montée d’un islamisme radical et du terrorisme, ralentie présentement par la pandémie du Covid-19”, a constaté M. Chikhaoui.
“En somme la recomposition du nouveau monde est en mouvement depuis le début des années 1990, sous l’influence de nombreux acteurs non étatiques interconnectés et avec l’impulsion du Smart Power. Il (le nouveau monde) sera de plus en plus dessiné et gouverné par ces acteurs dénommés “élite mondiale”. Par voie de conséquence, “nous assisterons de plus en plus à l’érosion de la souveraineté nationale et à la disparition progressive de l’indépendance de la décision”, a-t-il conclu.
Source APS